[RP] Un monologue du chaton

(rédigé le samedi 9 février)

- C'pas vrai ! Il m'avait promis ! 'Y m'avait dit qu'y r'viendrait indemn' et qui m'racont'rait leurs z'aventures d'dimanch' dernier ! Mais pas une fois qu'il est v'nu ! Pas UNE FOIS ! Ç'fait une s'main' maint'nant, tu t'rends compte ? UNE ! SEMAINE ! 'Y m'a complèt'ment oubliée !

Chiffly, flegmatique, se concentra sur le nettoyage d'un verre déjà tellement propre et transparent que l'on pouvait s'inquiéter de le voir carrément disparaitre si le serveur continuait de le frotter. Il avait compris depuis quelques jours déjà que lorsqu'Armo' se comportait ainsi, mieux valait ne rien répondre d'autre que, de temps en temps, un "hmm-mmh" vaguement approbateur. Les quelques clients présents s'arrangeaient pour s'occuper à un autre bout de la grande salle.
À la manière d'un chaton qui a besoin de son quart d'heure de folie, Armo' avait, une fois par jour, ses dix minutes de coup de nerf. Comme un très temporaire accès de rancune. Comme une bouilloire laissée un peu trop longtemps sur le feu. Et après, tout allait très bien pour un bon moment.
Concrètement, il la lassait causer. L'on pouvait ainsi considérer que Chiffly avait compris la base de la psychologie féminine : l'auto-régénération par le bavardage.

- Et qui c'est qu'est 'core au courant d'que dall' ? C't'Armo' ! 'Videmment ! J'te jur', chui vraiment trop gentill' 'vec tous ces dépressifs qu'pensent qu'à leur p'tit nombril ! Et t'sais quoi, l'pir', c'est que j'm'attach' vraiment à eux, en plus ! Pourtant qu'est-ce qu'y sont chiants 'vec leur côté "chui trist' mais j'préfèr' pas en parler, comm' ça m'tristess' elle va bien pourrir dedans moi et j'aurais un air trop mystérieux et tout". Jamais contents ! Pourtant elles sont si pourries qu'ça, leurs vies ? Hein ? Et pis vas-y qu'y râlent, aussi ! Franch'ment ! Est-ce que j'râl', moi ? Hein ?!

Chiffly esquiva habilement cette tentative de prise à partie. Il ne casa qu'un bref regard en coin vers la brindille aux cheveux en bataille, qui monologuait tout en réapprovisionnant les rangements sous le bar. Armo' n'attendit de toutes façons pas de réponse de sa part, et passa d'un coup d'une colère électrique à une profonde tristesse.

- Et si ça s'trouve, il est mort ! Si ça s'trouv' son cadavr' est au fond d'un ravin, tout seul ! Qu'est-ce qu'on peut en savoir, hein ? 'Y donn' jamais d'nouvelles ! Oh non... J'veux pas imaginer ça. C'est horrib'... L'est pas mort, hein ? T'penses pas ?

Chiffly se contenta d'adopter une expression faciale peu convaincue, son chiffon faisant toujours re-re-reluire son verre, mais cela suffit à donner une impression de soutien à Armo'.

- Ouais, t'as raison ! L'est sans doute b'en vivant. Et puis comm' dit 'Mélie, l'cafards ça crèv' pas si facil'ment !

Et la voilà repassée à son flamboyant courroux initial.

- Parc'qu'ouais c'rien qu'un cafard ! Chui sûre qu'il est parti s'fair' dragu' je n'sais z'où, par n'import' quell' pair' d'seins accompagnée d'ch'veux sombres ! T'imagines mêm' pas tous l'mensonges qui m'a baratinés. C't'un vil cancrelat ! Et moi j'y ai cru ! Chui vraiment trop conn' ! L'est rien qu'un beau parleur qu'pens' 'vec sa queue plutôt qu'vec sa tête, ça ouais ! Et t'sais comment qu'on appel' un typ' de c'genre ? Un obsédé ! Ouais ! J'vais arrêter d'êt' gentill' 'vec lui, l'mérite pas ! 'Y va voir quand y va rev'nir, j'vais l'engueuler, mais un truc bien ! J'vais te me le...

Armo' s'interrompit subitement, son attention détournée par une voix masculine audible depuis l'extérieur du Pavillon de Chasse. Sa colère, son dépit, sa frustration et ses velléités de vengeance s'évanouirent à l'instant même.

- Oh... Oh ! Ce s'rait lui ?

Dans sa voix, l'on n'entendait plus que de l'espérance et de l'enthousiasme. L'on aurait presque pu voir ses oreilles pivoter de manière féline en direction de l'entrée, si la chose avait été biologiquement possible.

Chiffly soupira. Sauvé ! Il serait tranquille au moins jusqu'au lendemain.
Il regarda entrer dans l'auberge un Humain inconnu. Non, ce n'était pas "lui". Mais Armo' n'afficha sa déception qu'un minuscule petit instant, avant de s'activer pour accueillir au mieux ce nouveau client. Son fonctionnement semblait finalement assez simple. Laisser échapper de temps en temps l'excès d'émotions, puis retrouver sa stabilité par le travail. Et puis, son vocable fleuri et imagé avait quelque chose de rafraîchissant...
Chiffly laissa les coins de ses lèvres remonter en un petit sourire.

Parmi les verres propres, il y en a à présent un qui étincelle vraiment beaucoup.